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Écrevisses de Lune

Hugues Simard

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Extrait....
Nous ne fixâmes ce soir-là aucune date afin de nous revoir, ce qui eût été pure hérésie pour des êtres qui venaient d’expérimenter la vacuité du temps fixe tel que le perçoit l’homme occidental. 
Ce fut à la faveur d’un nouveau hasard que je revis Olivier Larronde. Le moins extraordinaire de cette  rencontre ne fut pas de la voir se produire à un moment où je songeai précisément à lui. Je remontai le fleuve du boulevard Montparnasse et, au moment où je dépassai la gueule du métropolitain à la station Saint-Placide, je fus frappé par la pertinence du rapprochement qui pouvait se faire entre les arabesques précises de sa poésie et les volutes de métal végétal imaginées par Guimard. 
Une même beauté, dont on ne pouvait se lasser, par la grâce d’un mouvement tout en courbes naissantes et de l'effloraison rapide du matériau, d’une grande suggestivité, tout un lierre magique qui enchantait l’âme… 
Mon œil eut à peine le temps de ricocher de la rampe Art nouveau à la terrasse du café voisin, que j’aperçus à l’angle de celui-ci, accolée au boulevard, la silhouette d’Olivier Larronde, en un profond exil intérieur. Il était devenu ce pauvre hère en haillons de djellaba qu'ont décrit certains journalistes à la fin de sa vie, borborygmant sa misère et 
son égarement, ayant laissé en Orient dont il revenait une partie de son esprit, comme Rimbaud et Nerval avant lui. 
Je l’abordai aussitôt. Très heureux de me revoir, il m’invita à sa petite table ronde et m’expliqua sans plus tarder combien nos rencontres l’avaient profondément marqué. 
La conversation reprit son cours exactement là où nous l’avions laissée, comme si ne s’étaient écoulées que peu d’heures, une simple nuit tout au plus, au lieu des deux mois passés. Le temps n’avait apparemment plus de prise réelle sur notre société. 
Je l’avais déjà circonvenu sur l’essentiel des plus récentes découvertes dans le domaine de la physique et ce fut l’une des raisons pour laquelle cette dernière conversation fut plus silencieuse que les deux précédentes, l’autre étant qu’Olivier semblait déjà habiter l’autre côté du miroir, où le temps a complètement cessé d’actionner le mécanisme des horloges. 
Il était un Narcisse sauvé par le contre-plongeon, à reculons, de son reflet trompeur. 
Il ne s’exprimait plus que par bribes, d’une grande densité poétique au demeurant. 
Sans pouvoir retranscrire ses termes exacts, je me rappelle par exemple qu’il compara à des Giacometti les ombres défilant sur le boulevard dans le flou igné de la fin juin, charpentes dénudées, révélées, sculptées par le temps lui-même, se dressant et semblant grandir toujours jusqu’à la voûte céleste, comme si leur être était en expansion illimitée, en migration vers le territoire atemporel où elles rejoindraient le poète. 
Il me confia qu’il avait répété l’expérience du temps plein, subrepticement, en empruntant le funiculaire de Montmartre. 
Il avait surtout revécu le phénomène, avec une force décuplée, un jour qu’il croisa un noir américain dans une galerie souterraine du métropolitain “ jouant de son saxophone comme d’un accélérateur de particules ”, pour reprendre ses propres termes...

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